Rencontres
L'autre jour, sur le chemin du tabac, cette femme arrêtée comme moi devant la vitrine d'une boutique m'a parlé. Foulard et djellaba, âgée, toute petite, une poupée. En 5 mn elle m'a dit sa vie. L'arrivée en france, il y a longtemps, Marseille, les enfants, le travail, et sa vie d'aujourd'hui, elle enseigne, à sa façon elle enseigne, après une existence de domestique. Elle est intelligente, très. Elle a effleuré le sujet, sans y toucher l'air de rien, comme cette autre femme à qui je parle, parfois, qui vient du même pays, le racisme, toujours. Dont elles portent les stigmates, en secret. C'était un moment de grande douceur, lui parler. J'aurais aimé être sa fille. Je l'ai revue depuis, c'est une joie. Qui me lave. Des préjudices de ceux qui s'imaginent être humains, quand ils n'ont pas la moindre idée de ce dont il s'agit.
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Aujourd'hui cette femme, à l'arrêt de bus. On parle. Ce que les gens peuvent subir dans ce pays est innommable. Impossible à verbaliser. On croirait un film, et non. Je ne peux pas en parler, j'ai peur pour elle. Système bien huilé, où public et privé fonctionnent main dans la main pour réduire à néant toute velléité digne de ce nom : liberté. Les complicités sont nombreuses, vicelardes, répugnantes. Il s'agit de réduire un être humain à l'état de prisonnier, ni plus ni moins. Assignation à. J'ai essayé de lui donner une piste, sans grand espoir, le seul qui reste serait de fuir, il est trop tard. La nasse. Déstabilisant, écoeurant. Et terrifiant. Pendant ce temps, le cirque continue, le manège tourne, joyeusement alimenté par les collabos casse-croûte grassement rémunérés pour leurs petites et grandes exactions. Forts de l'absolue révérence des larves qui les alimentent. Aucun scrupule, pas d'état-d'âme. Encore faut-il en avoir une. Et toc.